LES GRAVEURS SOUS LE RÈGNE DE GALLIEN

Les portraits des monnaies de Gallien sont divers et variés. On peut déterminer plusieurs périodes marquées par des portraits plus ou moins différents selon les époques. La différence est parfois mince parfois flagrante au point, si on ne lit pas la légende, de ne pas reconnaître l'empereur sur certaines monnaies.

Les graveurs semblent attachés à un atelier sauf exception, bien entendu. Chaque graveur va représenter l'empereur soit en copiant son prédécesseur, soit en copiant le travail d'un graveur d'un autre atelier, soit en fonction de ce qu'il en sait (il peut avoir rencontré l'empereur ou se référer à des représentations picturales ou des sculptures.).

Nous allons tenter, à partir des monnaies de cette collection, de repérer, par atelier, les différents graveurs ayant officié. Il est possible aussi qu'un atelier ait eu plusieurs graveurs sous la direction d'un maître-graveur, ce qui peut expliquer les différences minces qu'on peut rencontrer pour un même type de monnaie.

Nous ne parlerons ici que des antoniniens et des bronzes. L'or et les médaillons, objets de prestige ne sont pas répertoriés.

Il s'agit d'un classement personnel et non exhaustif. D'autres styles de portraits peuvent nous mettre sur la piste d'un ou de plusieurs autres graveurs.

L'atelier de Rome

Les sesterces ne seront plus frappés après 258. La plus grande partie des sesterces est frappée entre 253 et 255. La frappe sera plus faible ensuite pour disparaître tout à fait sous le règne seul de Gallien.

Ce sesterce date de 253-254

graveur : GR1 (graveur Rome n° 1)

Ce sesterce date de 254-256.

graveur : GR2

ce sesterce date de 255- 257

graveur : GR3

sesterce absent de cette collection. date : 258 - 259.

Portrait à gauche, cuirassé, plutôt petit. Le style rappelle un graveur qu'on retrouvera dans la série des antoniniens de Rome. Il grave des as en 260.

graveur : GR4.

Les As sont plus rares que les sesterces.

Cet as de 254 semble gravé par le graveur GR2

graveur du début du règne de Gallien, le nez est plus droit, le visage jeune. Le graveur connaissait-il le portrait de l'empereur ?

antoniniens frappés entre 253 et 256 semble-t-il.

graveur : GR5

Antoninien frappé entre 257 - 258.

Ce graveur est le GR2. Il grave des antoniniens entre 256 et semble t-il 258.

un des premiers antoniniens frappés sous le règne de Gallien seul (revers PAX).

Date : 260.

nous avons trouvé une autre monnaie avec ce portrait pour Rome pour un antoninien frappé entre 261 - 262 (revers Genivs)

graveur : GR6 sans doute entre 260 - 262.

Antoninien frappé pour Gallien seul entre 260 - 261.

le buste est cuirassé.

D'autres antoniniens avec ce buste sont datés 258 - 259 sans doublement du G

le graveur GR4 (voir sesterce ci-dessus) aurait gravé jusqu'en 262.

 

Le style de cette monnaie semble se différencier du graveur GR4.

Cet antoninien est daté de 263.

graveur : GR7

Nous avons toujours pour cet antoninien, daté de 266,  le buste cuirassé mais le style est beaucoup plus fin. Il ne s'agit manifestement pas du même graveur.

graveur : GR8

On peut donner à ce graveur les monnaies frappées entre 265 et 266 les portraits spectaculaires avec bustes casqués ou non, à droite ou à gauche avec haste et bouclier.

 

avec ce graveur nous entrons dans la période la plus prolifique du monnayage de Gallien avec notamment la frappe des monnaies dites du "bestiaire".

Les portraits sont à gauche ou à droite, buste nu ou habillé, parfois avec buste spectaculaire avec haste.

graveur : GR9

On lui doit sans doute aussi les deniers, avatars des anciennes monnaies qui ont été frappés bien après l'arrêt des sesterces et des as.

Les quelques variantes du portrait sont peut être dues au fait que les frappes étant très importantes il a fallu graver de nombreux coins monétaires et peut être aussi y a t-il eu plusieurs graveurs dans les officines. Ses premières monnaies sont datées de 262-263.

Buste habillé exceptionnel et très rare, il semble que les ptériges apparaissent sous le paludamentum.

Antoninien daté de 267 au revers du bestiaire (IOVI CONS AVG : chèvre à droite).

Le graveur ne semble pas se rapporter au GR9.

graveur : GR10

L'atelier de Trêves

Le portrait ressemble à celui du graveur GR1 avec cependant quelques différences de style. Sans doute le portrait le plus ressemblant de Gallien.

graveur : GT1

antoninien frappé entre 257 - 258

Antoninien frappé entre 257 - 258

graveur : GT2

antoninien frappé entre 257 - 258

graveur : GT3

Antoninien frappé entre 257 - 258

graveur : GT4

antoninien frappé entre 257 - 258

graveur : GT5

L'atelier de Viminacium

l'atelier de Viminacium est tantôt considéré comme un des ateliers monétaires de l'empire tantôt comme un atelier provincial.

Ont été frappé des bronzes, sesterces et des antoniniens dès le début du règne. Le portrait de Gallien n'est pas ressemblant aux portraits des autres ateliers. Certaines monnaies reprennent le portrait de Valérien.

graveur : GV1

L'An XVI qui apparaît au revers correspond à la période 254-255. C'est la dernière année de frappe pour les bronzes.

 

Antoninien de 254-256 frappé avec le portrait très proche de celui de Valérien mais avec la barbe.

graveur : GV2

Antoninien frappé en 253 ou peut être 254-256. Le portrait n'est pas encore celui de Gallien. Il se rapproche de celui du GR5.

Des monnaies de ce graveur sont datées de 256-258. On lui doit certainement les sesterces (voir ci-dessus).

graveur : GV1

Antoninien frappé en 256-258. Le revers au trophée a sans doute été copié pour les monnaies au même revers (mais à la légende différente) frappées à Trêves.

Sous réserve graveur : GV3 (il pourrait s'agir d'un des graveurs de Rome GR5).

on lui doit un exceptionnel portrait à droite avec la haste et le bouclier.

L'atelier de Milan

Nous avons déterminé 8 graveurs mais il est possible qu'il y en ait d'autres. C'est l'atelier qui frappe le plus de portraits exceptionnels et très rares (bustes à gauche, casqués, consulaires, avec haste et boucliers ...).

frappe : 259-260 ; 1ére émission pour cet atelier

GM1

frappe  de 261

graveur GM2

frappe de 261

graveur : GM3

frappe de 261-262

graveur : GM4

frappe de 262

graveur : GM5

frappe de 264-265

graveur : GM6

frappe : ?

graveur : GM7

frappe de 265-266

graveur : GM8

Atelier de Siscia

frappe de 263

graveur : GS1

 

frappe de 265

curieux portrait de Gallien

graveur : GS2

ce graveur a œuvré de 266 à 268

graveur : GS3

Les ateliers d'Antioche, Cyzique et Samosate se caractérisent par des portraits plus hiératiques. Il devait être plus simple pour les graveurs de reproduire le portrait de l'empereur.

Atelier d'Antioche

les premières frappes de ce graveur datent de 253-254 et les dernières de 257.

Elles sont frappées à la fois pour Valérien et Gallien (doublement du G au revers).

graveur : GA1

ce graveur ou son équipe (?) a sans doute frappé pour Samosate (voir ci-dessous)

les monnaies avec ce portrait sont frappées à partir de 259 jusqu'à 267.

On trouve des têtes à droite ou à gauche, des bustes cuirassés à droite ou à gauche, des bustes habillés à droite ou à gauche.

Sans doute plusieurs graveurs qui ont reproduit un type de portrait stéréotypé.

graveur : GA2

ce ou ces graveurs ont frappé à Cyzique en 267-268 avec SPQR au revers.

Atelier de Samosate

Comme pour Antioche ces monnaies sont frappées sous Valérien et Gallien à partir de 255 jusque 258

la ressemblance frappante avec les monnaies de la même période d'Antioche font penser qu'il s'agit du même graveur.

graveur : GA1 pour Samosate

Graveurs d'antoniniens imités (imitations "barbares")

imitation frustre d'un antoninien de l'atelier de Rome (revers au Pégase)

imitation frustre d'un antoninien probablement de l'atelier de Siscia (revers PAX)

EXEMPLES DE GRAVURES DIFFÉRENTES POUR UN MÊME TYPE DE MONNAIES

antoniniens se Salonine de l'atelier de Rome et frappés en 267-268 (série du bestiaire) avec manifestement deux graveurs différents.

Antoniniens de Gallien de l'atelier de Rome frappés en 267 (série du bestiaire) à la légende :

LIBERO CONS AVG à la panthère.

Elles sont frappées dans la deuxième officine (B en exergue). Il existe plusieurs portrait à l'avers : buste nu à droite ou à gauche, buste cuirassé et buste habillé à gauche.

 

Dieu très ancien à Rome, Liber ou Liber pater est un dieu de la fécondité. Le phallus était son symbole : il était invoqué comme protecteur de la fertilité agricole ; il présidait peut-être aussi à la génération animale.

Ce n'est qu'au IIIe siècle avant JC qu'il est assimilé à Dyonisos et devenir, pour les Romains, le dieu du vin et des vendanges.

 

Sur un denier de Septime Sévère il est représenté par Bacchus avec la peau de panthère et cette légende :

LIBERO PATRI (à Liber Pater)

Le fait que Liber était dieu de la fécondité explique les mamelles qui apparaissent sur les panthères, au revers de certaines de ces monnaies.

 

LES MONNAIES:

la première monnaie est le type le plus souvent rencontré

la seconde montre une panthère plus élégante mais qui a un petit air de ressemblance avec une lionne

la troisième panthère est une gravure plus lourde, plus frustre et qui semble être vraiment une lionne.

nous avons affaire à trois graveurs différents.

Que dire des autres gravures avec cette panthère au buste en arrière, cette autre stylisée ...

Nous avons très probablement affaire à au moins 5 graveurs différents. Il y en a peut être d'autres.

Les avers sont, sans doute, du même graveur (style très proche) et donc identiques à peu de choses près (graveur GR9) sauf pour le portrait ci-dessous, plus grand que de coutume, qui curieusement correspond, au revers, à la panthère de petite taille (4e image).

Intéressante aussi cette panthère tournée vers la droite.

Il existe d'autres animaux du bestiaire dont la tête est orientée à l'inverse des frappes habituelles :

- le Pégase à gauche

- l'Hippocampe à gauche

Ces deux monnaies sont reproduites ci-dessous.

On trouve aussi le Griffon à droite et le taureau à droite (que je ne possède pas).

On peut se poser des questions sur ces inversions.

Les gravures sont souvent plus frustres que pour les autres représentations. Une hypothèse : un apprenti sculptor (graveur) qui reproduit ce qu'il a devant les yeux.  La conséquence est que, quand on frappe la monnaie, la tête de l'animal s'imprime à l'inverse de ce qui était prévu. En est-il de même des têtes à gauche alors que la majorité des monnaies est avec une tête ou buste à droite ? Les légendes sont parfois hésitantes (mal proportionnées, ...)

L'hypothèse de la cause de ces "erreurs" (si tel est le cas) pourrait être confirmée par la rareté de ces monnaies.

Les portraits des images 5 et 6 semblent identiques et correspondent toutes deux à des revers inversés : la panthère pour le 5 et Pégase pour le 6. Cela semble confirmer notre hypothèse.

 

Cédric Wolkow pense que les monnaies frustres, avec ou non inversion de l'animal au revers, sont le fait de faussaires. Ainsi en est-il de mon antoninien avec l'hippocampe à gauche. C'est plausible.

 

Quelques-uns des avers

Quelques-uns des revers

LES MONNAIES "FAUTEES"

Les monnaies pour cette période, sont frappées en très grand nombre et, notamment après 260, à cadence rapide. Ceci à plusieurs inconvénients:

- une usure rapide des flans, notamment des coins de revers, mobiles et qui supportent des chocs qui se répercutent dans le métal et le fragilisent.

- des frappes décalées: le flan présente alors une empreinte tronquée où une partie de la légende, voire parfois du portrait ou de l'image du revers. Les causes ? Une mauvaise position du coin avant la frappe, une mauvaise position du flan avant la frappe. Ces erreurs sont assez courantes.

- les coins bouchés : ceci se voit notamment sur les légendes. Une lettre peut ainsi "disparaître" tout à fait.

- les coins usés : ils donnent lieu à ce qu'on appelle des frappes molles. Le coin présente une usure régulière qui atténue le relief initial. Cet effet "frappe molle" peut aussi être provoquée par une faiblesse dans la force de frappe de l'ouvrier. Dans ce cas c'est lui qui est "usé"!

- les frappes incuses : lors de la frappe l'ouvrier ne retire pas le flan du coin et remet un autre flan sur le précédent. Ainsi la première monnaie reçoit une empreinte en relief et une empreinte en creux.

- les frappes sur des flans frustes: les flans présentent un poids beaucoup plus léger que le poids de référence. La frappe peut endommager la monnaie qui, à priori, n'aurait pas du être mise sur le marché.

- les frappes sur des flans lourds : ces monnaies présentent des poids exceptionnellement lourds par rapport aux poids de référence. Elles sont assez recherchées. La frappe est souvent de qualité.

EN VOICI QUELQUES UNES

Sur cet antoninien frappé à Samosate, on voit bien au revers une légende fautée.

VRT-VS AV-GG au lieu de VIRTVS AVGG

ce n'est qu'à la loupe qu'on distingue la trace légère du "I" et encore, dans sa partie inféreiure uniquement. Nous sommes en présence d'un coin bouché.

Cet autre antoninien nous montre un beau relief à l'avers.

Que dire de son revers ! Manifestement ce n'est pas l'usure qui est responsable de cette frappe molle mais bien plutôt un coin défectueux ou une frappe légère de la part de l'ouvrier.

Antoninien frappé à Milan. Bel exemple de frappe incuse.

Antoninien qui associe une frappe frustre (on voit bien la trace de deux portraits) et d'un flan particulièrement léger avec ses 1,71 g pour des antoniniens qui, habituellement, sont autour de 3,50 g.

frappe bien centrée sur un flanc frustre. A 11hon voit en V la trace d'une marque de cisaille. la monnaie pèse 2.90 g.

Autre frappe fruste. L'ouvrier s'y est pris en deux fois pour frapper cette monnaie qui présente la trace d'une deuxième frappe mais aussi le coup de cisaille pour couper le flan.

La trace des mâchoires de la tenaille sont visibles à gauche sur l'image.

Très curieuse monnaie hybride. L'avers est celui d'un antoninien frappé en 267 lors du règne seul de Gallien alors que le revers est celui d'un antoninien frappé lors du règne conjoint avec Valérien I.

Hypothèse: il est possible que lors de la frappe le coin de revers se soit cassé. La frappe doit reprendre, la cadence imposée ne souffre pas d'attendre qu'un nouveau coin soit gravé par le sculptor. Une solution : utiliser un coin en stock dans l'atelier!

Ce n'est qu'une hypothèse mais je la trouve plus crédible que d'imaginer une erreur de la part de l'ouvrier qui va, on ne sait pourquoi, dénicher quelque part, un coin ancien et qui, comble de malchance, se trompe et l'utilise pour frapper les monnaies du moment.

Pour cette monnaie Cédric Wolkow pense à un faux fabriqué dans l'atelier par des ouvriers indélicats. C'est une hypothèse qui se tient.

Antoninien frappé à Rome pour la 5éme émission (mi 257 - début été 258) au poids exceptionnel de 5.90 g (poids habituel autour de 3g - 3,20 g)

CONCLUSION

Ces différentes remarques sur les monnaies frappées à Rome en 267-268 nous permettent de comprendre comment fonctionnait un atelier monétaire sous Gallien.

1- Les graveurs principaux (sculptor, maître graveur) remplissent leur fonction sur des durées courtes (autour de 3/4 ans).

2- Ils sont associés à d'autres graveurs, sans doute sous leurs ordres, qui reproduisent ce que le maître graveur (appelons-le comme ça) a créé.

3- Deux coins sont gravés :

31- un coin fixe : l'avers avec la tête ou le buste. Fiché dans un billot de bois qui absorbe les ondes de choc dues à la frappe, ce coin est peu remplacé suite à des casses.

      32- un coin mobile : le revers avec l'allégorie ...Ce coin qui absorbe directement les ondes de choc est plus fragile. Ceci explique que les représentations des revers sont souvent plus nombreuses que les représentations d'avers.

4- Les ateliers devaient conserver, tout au moins, quelques-uns des coins anciens, puisqu'on a des monnaies hybrides (avec un avers de 267 et un revers d'avant 260 par exemple).

5- L'existence de monnaies lourdes, c'est à dire d'un poids largement supérieur au poids moyen de la monnaie considérée, montre que les tôles de cuivre fournies pour la fabrication des flans, ont du être martelées avec de temps en temps de grosses imperfections sur leur épaisseur.

Ce qui, pour le cuivre, ne devait pas gêner l'ouvrier vérificateur.

6- les monnaies frustres, avec des doubles frappes, des frappes décalées, des monnaies incuses...semble montrer que les monnaies étaient frappées à cadence rapide. La demande en numéraire devait être importante. Ceci est accrédité par le fait que les monnaies du bestiaire (sauf les "erreurs") sont très courantes, si on ne tient pas compte de leur état.

En très bel état (monnaies bien centrées, frappe au relief bien venu, ...) sont, pour cette période, réellement peu courantes.

7-Les monnaies, après la frappe, sont passées dans un bain d'argent (?). Cette activité a t-elle lieu dans l'atelier ? C'est probable.

8- On peut donc imaginer que dans un atelier monétaire nous trouvons:

81- un maître graveur

82- plusieurs graveurs (ouvriers, apprentis)

83- un ouvrier pour fabriquer les flans à partir de tôles fournies

84- un vérificateur : il contrôle, notamment pour les monnaies en métal précieux, le poids des métaux à l'entrée et le poids de métal utilisé pour les monnaies et ainsi éviter, peut être, les fraudes.

Il vérifie pour le métal précieux en priorité, le poids des monnaies frappées (qui doivent respecter un poids théorique décidé par l'administration responsable de la monnaie : les monétaires).

85- au moins un ouvrier pour frapper la monnaie.

86- au moins un ouvrier pour placer le flan entre les coins avant la frappe.

on peut se demander s'il y avait plusieurs ouvriers qui, en même temps, frappaient la monnaie. Ceci expliquerait aussi que l'on connait plusieurs gravures pour un même type.

87- Il devait y avoir quelques manutentionnaires.